« En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une
bibliothèque inexplorée qui brûle ».
Ces mots prononcés par Amadou Hampâté Bâ pour promouvoir la
sauvegarde de la mémoire des traditions et des cultures locales d’Afrique
pourraient s’appliquer à lui-même. Les mémoires de ce Malien né dans l’Afrique
coloniale française en 1900 sont ainsi une mine d’or dont je ressors
profondément marqué. Un livre qui n’est pas un roman mais plutôt une peinture,
qui se lit comme un conte ou une histoire d’aventure, de la société coloniale
française à travers les souvenir d’un enfant africain. Chronique d’une lecture
marquante et éblouissante.
Amkoullel, l’enfant peul (Mémoires I)
Amadou Hampâté Bâ
Editions Babel et J'ai Lu
530 pages
Amadou Hampâté Bâ
Editions Babel et J'ai Lu
530 pages
Quatrième de couverture
Voici un étonnant livre de Mémoires qui nous révèle la
formation d'un des esprits les plus brillants et les plus profonds de l'Afrique
noire. Amadou Hampâté Bâ raconte ici sa petite enfance et son adolescence, du
temps où il portait le surnom d'Amkoullel, et où - dans le Mali du début de ce
siècle - il s'initiait aux traditions ancestrales, fréquentait l'école
française en même temps que la coranique, courait la savane alors que beaucoup
partaient pour une guerre lointaine (la Première Guerre mondiale), découvrait
le colonialisme et s'apprêtait à devenir l'un des derniers grands dépositaires
d'une civilisation orale en pleine mutation. A la fois roman d'aventures,
tableau de moeurs et fresque historique, ce livre restitue dans une langue
savoureuse et limpide toutes les richesses, les couleurs et la vie du grand
récit oral africain. C'est aussi et surtout une belle leçon d'humour, de
tolérance et d'humanité qu'y trouveront les passionnés de littérature, les
chercheurs, ou tout simplement les amateurs d'aventures vécues.
Ma rencontre avec le livre
C’est au hasard que je dois ma rencontre avec ce livre. Dans
le cadre de la préparation d’un concours, j’ai été amené à préparer un
commentaire d’un extrait de cet œuvre. Les quelques pages sur lesquelles
portaient mon travail (la description de ses premiers jours à
l’ « Ecole des blancs ») m’ont conquises. Il ne m’en a pas fallu
plus pour emprunter le volume complet des mémoires.
Ma lecture du livre
Je l’ai dit, la lecture de ce livre m’a profondément marquée
et pour plusieurs raisons. La première tient à la fraîcheur, au plaisir de la
découverte et au dépaysement procuré par ce livre. Il est très loin des codes
de la fiction traditionnelle, et pour cause puisqu’il ne s’agit pas de fiction
mais bien du récit de l’enfance d’Amadou Hampâté Bâ commençant par l’histoire
de ses parents jusqu’à ses vingt ans et son départ pour son premier poste
d’agent colonial français.
Je ne pensais pas rentrer aussi facilement dans ce livre
puisque, en soit, il n’y a pas de réel suspens vu que je m’étais renseigné sur la
biographie de l’auteur. Et pourtant, j’ai été happé par le récit. Le livre se
lit tour à tour comme une épopée lorsqu’il est question des ancêtres, comme un
roman d’aventure, comme une suite de situations drôles et rocambolesques mais
aussi comme une invitation à repenser son rapport à l’autre, à la culture, à
soi-même. On lit sans effort, emporté par les péripéties qui marquent l’enfance
du narrateur et en même temps, subtilement, les paroles laissent une marque
profonde chez le lecteur. Sans y paraître, derrière des anecdotes drôles ou des
situations dramatiques, Amadou dresse un tableau de l’Afrique coloniale qui
interroge. C’est là le point fort de ce livre qui nous apprend et
nous fait énormément réfléchir mais sans qu’on s’en rende compte, sans que cela
ne devienne à aucun moment pesant ou ennuyeux.
Les descriptions de la société coloniale ou des traditions
locales africaines ou musulmanes (l’auteur étant lui-même musulman) s’intègrent
parfaitement au récit de l’enfance de l’auteur. Et quelle enfance ! Son
destin n’est pas des plus anodins puisque sa famille se voit ballotter par les
évolutions de la politiques coloniale française. Une des parties du récit qui m’a
ainsi le plus marqué, c’est le récit de la réquisition du jeune Amadou, à douze
ans, qui se voit contraint d’aller à l’ « école des Blancs »,
cette école coloniale où les enfants sont forcés d’apprendre le Français afin
de devenir de bons intermédiaires de l’administration française.
Loin de nous servir un discours accusateur ou conciliateur,
l’auteur adopte le regard d’enfant qu’il était à l’époque pour décrire ce monde
colonial en pleine construction. Ce regard, tantôt touchant, tantôt drôle,
évacue ainsi toute prise de position polémique (et oh combien la question
colonial fait débat) pour simplement décrire comment un enfant africain a vécu
au quotidien cette colonisation dont l’enseignement en histoire m’apparaît
désincarné de toute approche humaine maintenant que j’ai lu ce livre. Mais,
l’auteur ne s’arrêt pas à ce regard naïf (pas tant que ça par moment) de
l’enfant et tente alors dépasser les discours polémiques et partisans. Ses
propos sur l’école, justement, illustrent prise de recul, en recentrant par
exemple ici non pas le débat sur le bien/pas bien mais sur l’enjeu pour la
conservation des cultures locales. Une citation vaut mieux qu’un long
discours :
« Une entreprise de colonisation n’est jamais une
entreprise philanthropique, sinon en parole. L’un des buts de toute
colonisation […] a toujours été de commencer par défricher le terrain conquis
car on ne sème bien ni dans un terrain semé ni dans la jachère. Il faut d’abord
arracher des esprits, comme des mauvaises herbes, les valeurs, coutumes et cultures
locales pour pouvoir y semer à leur place les valeurs, les coutumes et la
culture du colonisateur, considérées comme supérieures et seules valables. Et
quel meilleur moyen d’y parvenir que l’école.
Mais, comme il est dit dans le conte Kaïdara, toute chose
a nécessairement une face diurne et une face nocturne. Rien, en ce bas monde,
n’est jamais mauvais de A jusqu’à Z et la colonisation eut aussi des aspects
positifs, qui ne nous étaient peut-être pas destiné à l’origine mais dont nous
avons hérités et qu’il nous appartient d’utiliser au mieux. Parmi eux, je
citerai surtout l’héritage de la langue du colonisateur en tant qu’instrument
précieux de communication entre ethnies qui ne parlaient pas la même langue et
moyen d’ouverture sur le monde extérieur – à condition de ne pas laisser mourir
les langues locales qui sont le véhicule de notre culture et de notre
identité. »
Bref, vous l’avez compris, ces Mémoires d’Amkoullel,
l’enfant peul sont pour moi un énorme coup de cœur. Une lecture atypique, drôle,
touchant, passionnante, marquante et par dessus tout enrichissante. C’est sans
hésitation que je peux vous dire que d’ici quelque temps vous trouverez ici
même la chronique du deuxième volume des Mémoires, intitulés Oui, mon
commandant !, et s’intéressant cette fois-ci non plus à l’enfance de
l’auteur mais à ses années de service comme agent de l’administration
coloniale. Je ne peux que vous inviter à parcourir les pages de ce livre et
j’espère que vous aussi serez marqué par ce récit paradoxalement magique d’une
page complexe de notre histoire.
10/10
COUP DE COEUR
Et pour finir, une autre citation, des paroles de Tierno
Bokar, un des maîtres de pensée d’Amadou Hampâté Bâ, rapportées par ce dernier
au cours de son récit :
« L’écriture est une chose et le savoir en est une autre.
L’écriture est la photographie du savoir mais elle n’est pas le savoir
lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme. Il est l’héritage de
tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe,
tout comme le baobab est puissant dans sa graine. »
Wahou, l'extrait et les citations sont juste su-blimes ! J'accroche totalement. Et son regard sur le monde colonial m'a l'air très intéressant ! Merci pour cette magnifique critique (et découverte).
RépondreSupprimerDe rien ! J'espère que tu seras aussi enthousiasmée que moi à la lecture de ce livre ! N'hésite pas à venir me prévenir quand tu l'auras lu si tu publies une critique, histoire qu'on compare nos points de vue.
RépondreSupprimerPas de soucis, je m'y engage :).
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