Boris Vian
Quatrième de couverture
L'Ecume des jours : ce titre léger et lumineux
annonce une histoire d'amour drôle ou grinçante et inoubliable, composée par un
écrivain de vingt-six ans.
C'est un conte de l'époque du jazz et de la science-fiction,
à la fois comique et poignant, heureux et tragique, merveilleux et fantastique,
féerique et déchirant. Dans cette oeuvre d'une modernité insolente, l'une des
plus célèbres du XXe siècle et livre-culte depuis plus de trente ans, Duke
Ellington croise le dessin animé, Sartre devient une marionnette burlesque, le
cauchemar va jusqu'au bout du désespoir.
Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes
: le bonheur ineffable de l'amour absolu et la musique des noirs américains...
Ma rencontre avec le livre
J’avais entendu parler de longue date (sans doute en cours
de français) de ce fameux roman de Boris Vian. Je me suis une première fois
frotté à sa plume si particulière en cours d’anglais lors d’un exercice de
traduction du français vers la langue de Shakespeare de la scène de la
patinoire. Pas forcément emballé par ce contact très scolaire scolaire, ce
n’est que récemment, à l’occasion de la sortie du film signé Michel Gondry (sur
lequel je reviendrai plus loin) que je me suis lancé dans l’aventure Vian.
Ma lecture du livre
L’Ecume des jours est un livre indescriptible. Boris
Vian propose au lecteur un univers sans aucune règle que celle des limites de
son imagination débordante, fantaisiste mais aussi pessimiste. Le monde dans
lequel nous plonge le roman est en effet atypique voire surréaliste, à la
croisée de la science-fiction et de la fantaisie. L’impression que me laisse
cette lecture est tout aussi indescriptible et n’en facilite donc en rien la
mise par écrit…
Commençons par ce qui est facile, claire, évident,
certain : le scénario. L’Ecume des jours est une histoire d’amour
tragique, somme toute assez banale, entre Colin, jeune homme bien nanti à qui
la vie sourit, et Chloé. Là où les romans actuels ont tendance à se focaliser
sur l’impossible réalisation de l’amour, le dilemme et la difficulté à exprimer
ses sentiments devant un impossible triangle amoureux, Vian évacue tous ces
préliminaires très rapidement pour se concentrer sur la suite : le déclin
de cette belle histoire dès lors que Chloé tombe gravement malade.
Rien de bien original jusque là ou de très difficile à
rapporter. Pourtant, dès les premières pages, on comprend que cette amourette
ne sera pas traitée de façon anodine et convenue : le lecteur rencontre
Colin pendant que ce dernier fait sa toilette… en se coupant les paupières, qui
décidément repoussent trop vite ! Et il ne s’agit là que de la première
fantaisie de Vian. Suivent ensuite pêle-mêle : une souris qui parle, des
armes poussant à la chaleur humaine, des réserves de pigeons de rechange, une
assistance publique qui égorge les enfants et j’en passe. L’univers n’a aucune
règle, l’auteur jouant sans cesse des jeux de mots et métaphores qui, pris au
pied de la lettre, déstabilisent en permanence le lecteur.
Devant un tel jeu sur le langage, on pourrait croire que l’Ecume
des jours est un roman léger et fantaisiste, accumulant sans réel but les
inventions littéraires. J’ai cru cela pendant un temps : arrivé au premier
quart du roman, je me demandais où tout cela menait et j’ai du me forcer à
continuer. Puis, quelques pages plus loin, tout a changé et Vian a réussi à me
convaincre. Ce serait une grossière erreur que de s’arrêter à cette vaine
fantaisie perçue au premier abord. En effet, au fur et à mesure de la
progression dans le roman s’opère une glissement subtil (annoncé par quelques
indices dès le début du livre) de la fantaisie vers l’absurde, du merveilleux
vers le sordide. Toute la force du roman (ou du moins ce que j’ai, moi, aimé
chez Boris Vian), c’est cette capacité à transformer subrepticement son livre
qui, tout en gardant sa poésie, prend alors des allures de satire sociale
totalement désillusionnée. Tout y passe : le travail, la religion,
l’amitié, l’amour, la médecine. J’ai tout particulièrement apprécié l’intrigue
secondaire autour de Chick et de sa dépendance aux écrits du philosophe
Jean-Sol Partre, équivalent burlesque de Sartre.
Et le film ? (mais aussi encore le livre car je
profiterai de ces « réponses » pour continuer à défendre le livre par
la même occasion)
Pas de compte-rendu exhaustif, mais les réponses à deux
critiques que j’ai pu voir de façon récurrente sur les sites/blogs de cinéma
(critiques qui sont parfois aussi faites au livre, soit dit en passant, d’où le
fait que ces réponses peuvent aussi s’y appliquer). Réponse en deux temps,
donc.
1) J’ai pu lire qu’il s’agissait là d’un film "sans
intérêt", au "scénario pauvre".
C'est une façon de voir les choses. L'histoire ne brille
certes pas par son originalité mais là n'est pas l’intention de Vian et donc de Gondry : c'est le traitement qui importe ici. De plus, le
sentiment de vanité/vacuité qui se dégage
de ce récit n'est pas un accident mais bien le l'objectif visé par
Vian (et donc à nouveau par Gondry que j’ai trouvé très fidèle à l’esprit de
Vian). La vie est absurde, amère. C'est finalement le constat très noir que
fait cette histoire sous ses airs de conte merveilleux.
2) Certains dénoncent également "un manque
d'émotion", des personnages peu attachants, attribuant éventuellement la
faute aux acteurs. Je ne rentrerai pas dans le débat « Romain
Duris » (je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi cet acteur fait couler
autant d’encre, que ce soit en négatif ou en positif, mais passons). Je ne
conteste pas ce manque d'émotion. Mais il ne s'agit pas selon moi d'un défaut.
En effet, l'impression que m'ont laissée Colin et Chloé dans le livre était
tout autant dépourvue d'émotion. Il sont par bien des aspects méprisants et
méprisables. Ce sont deux marionnettes, tout aussi chimériques que leur monde,
qu'on regarde s'agiter vainement. Les personnages nous sont finalement tout
aussi étrangers que leur univers. A nouveau, il est difficile de qualifier cela
de défaut à partir du moment où il ne s'agit pas d'un accident (comme semblent
pourtant le croire certains) mais bien d'une intention, porteuse de sens, de la
part de l'auteur.
Bref, pour moi, Gondry signe une adaptation réussie, fidèle
au livre dans ses grandes lignes et dans les quelques inventions que se permet
le réalisateur. Atout majeur du film : la musique. Le jazz tient en effet
une grande place dans le roman et le cinéma permet d’avoir dans les oreilles
cette musique si souvent citée par Vian. Malheureusement, ceux qui ne
connaissent pas le livre seront sans doute très déstabilisés (surtout quand
l’affiche annonce « la plus poignante des histoires d’amour ») et,
comme en témoignent certaines critiques, ne saisiront pas l’intention derrière
l’histoire. S’il me faut donner un carton à Gondry, ce serait finalement sur ce
point : il offre une bonne adaptation mais une adaptation qui joue trop de
la connivence avec le lecteur, laissant sur le bord de la route une partie de
ceux qui n’ont pas lu le livre. Cependant, certains amis n’ayant pas lu le
livre ont apprécié le film. Comme quoi…
En résumé : L’Ecume des jours est un livre à essayer,
ne serait-ce que pour le dépaysement offert et l’incroyable singularité de la
poésie de Boris Vian. Qu’on soit pris ou non par l’histoire et qu’on s’attache
ou non aux personnages : peu importe. A mon sens, lire l’Ecume des
jours demeurera dans tous les cas une expérience marquante dont l’intérêt
réside moins dans l’intrigue ou la vision désillusionnée de son auteur que dans
la découverte d’une nouvelle utilisation de la langue qui ne manquera pas de
vous faire « pétiller la tête ».
9/10