mercredi 15 mai 2013

L’écume des jours de Boris Vian

L'Ecume des jours 
Boris Vian
 
Quatrième de couverture 
L'Ecume des jours : ce titre léger et lumineux annonce une histoire d'amour drôle ou grinçante et inoubliable, composée par un écrivain de vingt-six ans.
C'est un conte de l'époque du jazz et de la science-fiction, à la fois comique et poignant, heureux et tragique, merveilleux et fantastique, féerique et déchirant. Dans cette oeuvre d'une modernité insolente, l'une des plus célèbres du XXe siècle et livre-culte depuis plus de trente ans, Duke Ellington croise le dessin animé, Sartre devient une marionnette burlesque, le cauchemar va jusqu'au bout du désespoir.
Mais seules deux choses demeurent éternelles et triomphantes : le bonheur ineffable de l'amour absolu et la musique des noirs américains...





Ma rencontre avec le livre

J’avais entendu parler de longue date (sans doute en cours de français) de ce fameux roman de Boris Vian. Je me suis une première fois frotté à sa plume si particulière en cours d’anglais lors d’un exercice de traduction du français vers la langue de Shakespeare de la scène de la patinoire. Pas forcément emballé par ce contact très scolaire scolaire, ce n’est que récemment, à l’occasion de la sortie du film signé Michel Gondry (sur lequel je reviendrai plus loin) que je me suis lancé dans l’aventure Vian.


Ma lecture du livre

L’Ecume des jours est un livre indescriptible. Boris Vian propose au lecteur un univers sans aucune règle que celle des limites de son imagination débordante, fantaisiste mais aussi pessimiste. Le monde dans lequel nous plonge le roman est en effet atypique voire surréaliste, à la croisée de la science-fiction et de la fantaisie. L’impression que me laisse cette lecture est tout aussi indescriptible et n’en facilite donc en rien la mise par écrit…

Commençons par ce qui est facile, claire, évident, certain : le scénario. L’Ecume des jours est une histoire d’amour tragique, somme toute assez banale, entre Colin, jeune homme bien nanti à qui la vie sourit, et Chloé. Là où les romans actuels ont tendance à se focaliser sur l’impossible réalisation de l’amour, le dilemme et la difficulté à exprimer ses sentiments devant un impossible triangle amoureux, Vian évacue tous ces préliminaires très rapidement pour se concentrer sur la suite : le déclin de cette belle histoire dès lors que Chloé tombe gravement malade.

Rien de bien original jusque là ou de très difficile à rapporter. Pourtant, dès les premières pages, on comprend que cette amourette ne sera pas traitée de façon anodine et convenue : le lecteur rencontre Colin pendant que ce dernier fait sa toilette… en se coupant les paupières, qui décidément repoussent trop vite ! Et il ne s’agit là que de la première fantaisie de Vian. Suivent ensuite pêle-mêle : une souris qui parle, des armes poussant à la chaleur humaine, des réserves de pigeons de rechange, une assistance publique qui égorge les enfants et j’en passe. L’univers n’a aucune règle, l’auteur jouant sans cesse des jeux de mots et métaphores qui, pris au pied de la lettre, déstabilisent en permanence le lecteur.

Devant un tel jeu sur le langage, on pourrait croire que l’Ecume des jours est un roman léger et fantaisiste, accumulant sans réel but les inventions littéraires. J’ai cru cela pendant un temps : arrivé au premier quart du roman, je me demandais où tout cela menait et j’ai du me forcer à continuer. Puis, quelques pages plus loin, tout a changé et Vian a réussi à me convaincre. Ce serait une grossière erreur que de s’arrêter à cette vaine fantaisie perçue au premier abord. En effet, au fur et à mesure de la progression dans le roman s’opère une glissement subtil (annoncé par quelques indices dès le début du livre) de la fantaisie vers l’absurde, du merveilleux vers le sordide. Toute la force du roman (ou du moins ce que j’ai, moi, aimé chez Boris Vian), c’est cette capacité à transformer subrepticement son livre qui, tout en gardant sa poésie, prend alors des allures de satire sociale totalement désillusionnée. Tout y passe : le travail, la religion, l’amitié, l’amour, la médecine. J’ai tout particulièrement apprécié l’intrigue secondaire autour de Chick et de sa dépendance aux écrits du philosophe Jean-Sol Partre, équivalent burlesque de Sartre.


Et le film ? (mais aussi encore le livre car je profiterai de ces « réponses » pour continuer à défendre le livre par la même occasion)
Pas de compte-rendu exhaustif, mais les réponses à deux critiques que j’ai pu voir de façon récurrente sur les sites/blogs de cinéma (critiques qui sont parfois aussi faites au livre, soit dit en passant, d’où le fait que ces réponses peuvent aussi s’y appliquer). Réponse en deux temps, donc.

1) J’ai pu lire qu’il s’agissait là d’un film "sans intérêt", au "scénario pauvre".
C'est une façon de voir les choses. L'histoire ne brille certes pas par son originalité mais là n'est pas l’intention de Vian et donc de Gondry : c'est le traitement qui importe ici. De plus, le sentiment de vanité/vacuité qui se dégage de ce récit n'est pas un accident mais bien le  l'objectif visé par Vian (et donc à nouveau par Gondry que j’ai trouvé très fidèle à l’esprit de Vian). La vie est absurde, amère. C'est finalement le constat très noir que fait cette histoire sous ses airs de conte merveilleux.

2) Certains dénoncent également "un manque d'émotion", des personnages peu attachants, attribuant éventuellement la faute aux acteurs. Je ne rentrerai pas dans le débat « Romain Duris » (je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi cet acteur fait couler autant d’encre, que ce soit en négatif ou en positif, mais passons). Je ne conteste pas ce manque d'émotion. Mais il ne s'agit pas selon moi d'un défaut. En effet, l'impression que m'ont laissée Colin et Chloé dans le livre était tout autant dépourvue d'émotion. Il sont par bien des aspects méprisants et méprisables. Ce sont deux marionnettes, tout aussi chimériques que leur monde, qu'on regarde s'agiter vainement. Les personnages nous sont finalement tout aussi étrangers que leur univers. A nouveau, il est difficile de qualifier cela de défaut à partir du moment où il ne s'agit pas d'un accident (comme semblent pourtant le croire certains) mais bien d'une intention, porteuse de sens, de la part de l'auteur.

Bref, pour moi, Gondry signe une adaptation réussie, fidèle au livre dans ses grandes lignes et dans les quelques inventions que se permet le réalisateur. Atout majeur du film : la musique. Le jazz tient en effet une grande place dans le roman et le cinéma permet d’avoir dans les oreilles cette musique si souvent citée par Vian. Malheureusement, ceux qui ne connaissent pas le livre seront sans doute très déstabilisés (surtout quand l’affiche annonce « la plus poignante des histoires d’amour ») et, comme en témoignent certaines critiques, ne saisiront pas l’intention derrière l’histoire. S’il me faut donner un carton à Gondry, ce serait finalement sur ce point : il offre une bonne adaptation mais une adaptation qui joue trop de la connivence avec le lecteur, laissant sur le bord de la route une partie de ceux qui n’ont pas lu le livre. Cependant, certains amis n’ayant pas lu le livre ont apprécié le film. Comme quoi…



En résumé : L’Ecume des jours est un livre à essayer, ne serait-ce que pour le dépaysement offert et l’incroyable singularité de la poésie de Boris Vian. Qu’on soit pris ou non par l’histoire et qu’on s’attache ou non aux personnages : peu importe. A mon sens, lire l’Ecume des jours demeurera dans tous les cas une expérience marquante dont l’intérêt réside moins dans l’intrigue ou la vision désillusionnée de son auteur que dans la découverte d’une nouvelle utilisation de la langue qui ne manquera pas de vous faire « pétiller la tête ».

9/10

7 commentaires:

  1. Quel bonheur ce billet !

    Sans surprise, je te rejoins à 200% sur absolument tout et c'est un vrai plaisir de constater que je ne suis pas la seule à avoir "compris" L’Écume des jours ainsi (je commençais à me sentir seule au monde).

    Quand tu évoques le "glissement subtil de la fantaisie vers l’absurde, du merveilleux vers le sordide", tu touches vraiment du doigt l'essence du roman pour moi, qui effectivement, vire subrepticement à la satire sociale et où, finalement, réside sa qualité (parce que l'histoire d'amour en soi, comme tu le dis, est très banale).

    Quant au film, et à son "manque d'émotion", tu as raison de souligner le côté méprisable des personnages (que là encore je pensais être la seule à avoir perçu, alléluia !) et le fait que le manque d'émotion ne soit pas un défaut en soi. D'ailleurs, pas plus tard qu'hier je m'interrogeais encore sur le sujet : ne rien ressentir, n'est-ce pas une émotion ?

    Et amen également concernant ta remarque sur la citation qui se trouve sur l'affiche et qui est totalement trompeuse... C'est la première chose que j'ai dit en la voyant ! ;)

    Encore merci pour ce billet... télépathique, on peut le dire !

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  2. En effet, télépathique vu que tu en dis !
    Pareil que toi, je suis content de voir que je ne suis pas le seul (parce que du coup tu viens à te demander si ce n'est pas toi qui a mal suivi et n'a rien compris !). Ouf !
    Je pense que le gros problème c'est le marketing qui a été fait, complètement en décalage avec l'oeuvre elle-même : d'où des attentes déçues et des incompréhensions vis à vis de l'oeuvre.

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  3. Exactement ! Et également je pense l'âge auquel le roman a été lu. J'ai remarqué que les personnes qui y ont vu avant tout une histoire d'amour sublime et poignante (et donc qui n'ont pas aimé le film) sont ceux qui l'ont lu ado. Je me demande du coup si ce n'est pas lié à la maturité. On l'aurait lu à 14 ans, on aurait certainement pas compris/perçu tout ce qu'on y a compris/perçu aujourd'hui et, très logiquement, nos attentes seraient différentes. On serait resté sur un souvenir lointain.

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  4. Oui, en effet, ça doit jouer (l'âge de lecture, je veux dire). Mais c'est ça qui fait la force de la littérature, non, et qui la distingue d'un roman lambda univoque ? (Du moins c'est ce que je réponds quand on me demande) Cette faculté du texte à servir de déversoir à un part de son lecteur qui rend ainsi l'oeuvre (et son interprétation) différente pour chaque personne qui la lit ;)

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  5. Oui, je dirais même que c'est ce qui fait la force (et l'intérêt) de la culture plus largement ! Ça me fait souvent le même effet avec des films que je revois 10 ans plus tard par exemple :).

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  6. Ce livre est une tuerie. Un immense coup de coeur, et je suis tout à fait d'accord : les critiques adressées de façon récurrente au film n'ont pas vraiment raison d'être ! Je l'ai trouvé formidable, très créatif, à la fois fidèle et novateur... Du pur bonheur :)

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